Microfiction et roman dans la littérature française contemporaine
1Si l’on étend la distinction, abstraite et polyvalente, entre micro et macro au domaine littéraire, notamment au panorama de la littérature contemporaine, française et internationale, on en vient vite à évoquer la distinction entre roman et microfiction, la forme totalisatrice du roman constituant l’un des pôles de cette opposition, la microfiction, forme discontinue, étant située à ses antipodes. Cette dichotomie invite à réfléchir sur la manière de penser la relation dia- ou synchronique entre micro et macro, microfiction et roman. D’aucuns vont jusqu’à postuler une succession des genres littéraires en question: l’ère postmoderne ayant eu raison des grands récits, la microfiction se serait substituée au roman (moderne et selon l’avis de certains même postmoderne)[1] dont elle aurait pris la place au sein d’une hiérarchie des genres littéraires – réflexion qui apparaît comme l’écho lointain d’une poétique d’avant-garde, d’une esthétique de rupture. Une deuxième figure d’interprétation essaye de projeter cette relation à l’intérieur de la seule histoire du roman et nous parle de son évolution vers sa fragmentation, voire son fractionnement, déniant par là à la microfiction son statut de genre littéraire autonome. Très nombreux sont en effet les travaux qui traitent de la fragmentarisation, de la discontinuité progressive, voire de la contingence des formes élementaires du roman contemporain – sans pour autant mettre ce développement en rapport avec celui d’autres (micro-)formes littéraires contemporaines, comme s’il s’agissait de conserver le cadre esthétique du roman, qui serait en même temps un cadre épistémologique, celui du maintien d’une certaine vision d’ensemble. On pourrait, pour cette deuxième variante, mentionner les nombreuses métaphores structurelles censées expliquer le mode de fonctionnement textuel en mettant l’accent notamment sur le rapport entre la partie, l’élément et l’ensemble du texte romanesque – images de la mosaïque, du puzzle, du tissu, de la galaxie, de la constellation, pour n’énumerer que celles dont la succession permettrait à elle seule d’écrire une espèce d’histoire littéraire du roman contemporain à partir des années 60.
2L’on pourrait envisager une autre lecture. Le microrécit comme genre littéraire constitue selon cette interprétation une mise en question du genre romanesque: c’est dans le texte ultra-bref que se cristallisent certaines questions majeures d’une poétique du roman. Le microrécit présente un défi pour le roman parce qu’il le réduit à une extension minimale qui lui fait perdre son développement romanesque et met en question la synthèse causale et temporelle qui le caractérise, en le soumettant à une combinatoire dont l’articulation n’est pas nécessairement transparente. Le microrécit semble être pris entre le postulat d’une cohérence minimale indispensable à toute narration et la contiguïté de fragments textuels et réflexifs épars, sans que cette dialectique puisse être nécessairement synthétisée, comme ont tenté de faire les modèles d’histoire littéraire présentés ci-dessus. La pluralité du texte, considérée dans un premier temps comme une simple métaphore pour désigner la polysémie du texte littéraire déterminant les processus de sa réception paradoxale comme unité littéraire, est devenue ensuite une catégorie de sa structure interne, fractionnée en une multitude d’éléments textuels dont la cohérence a été systématiquement désintégrée. Transformant le texte lisible en un texte scriptible, de la littérature en écriture, du roman en texte puis en romanesque (Roland Barthes), cette pluralité du texte en est venue aujourd’hui à présenter une réalité tangible.
3Le défi que doivent relever tant la pratique que la théorie littéraire, c’est Carpentari-Messina qui en a eu l’intuition: “Il est apparu clairement qu'on ne peut enfermer la brièveté ni dans un genre ni dans une forme[2]. Une fois arrivé à ce point (qu’on peut, mais qu’on ne doit pas partager), ce serait non seulement la notion de genre qui subirait l’effet disséminateur de la brièveté, sous forme de la microfiction, mais la notion de forme elle-même, ce qui situerait la dimension micro-logique de la brièveté de l’autre côté, au-delà ou plutôt en-deça de la littérature et de son histoire[3].
4Il est intéressant d’observer dans ce contexte qu’en Amérique latine[4] on discute du microrrelato moins dans sa correlation avec le seul roman mais avec d’autres formes narratives synthétiques proches comme les series narrativas no secuenciales que seraient les novelas por entregas, novelas fragmentarias, minificciones integradas, series de minificciones, series fractales, etc.[5]. À cette liste pourraient être s’ajouter, en ce qui concerne le domaine francophone, des textes qui, eux, essayent de rallier nécessité et contingence formelles, comme les abécédaires, les dictionnaires, les listes etc.[6]. Il s’agit de textes qu’on interprète parfois, et cela me semble un indice pour une approche nouvelle dans la façon de penser l’évolution de la forme littéraire dans le temps et l’espace, non plus par le concept épistémologique et esthétique de fragment, lourd de connotations romantiques et/ou modernes, totalisatrices, auquel appartiendraient la plupart des métaphores poétologiques énumérées ci-dessus (comme celle du puzzle entre autres), mais par la métaphore du fractale[7]. Ce terme désigne une forme qui fait apparaître à différents niveaux d’agrégation et, partant, à des échelles d’observation différentes des motifs et structures similaires au-delà de toute logique subordinatrice. Ce n’est, par conséquent, plus l’idée d’une différence esthétique qui est au centre du débat, mais une logique susceptible de conceptualiser la récurrence d’éléments identiques sans recourir pour cela à une vision cyclique de l’histoire (littéraire), le fameux “retour à”. Une série de microtextes sous forme d’une collection, d’un recueil, d’une anthologie ou d’un roman obéit selon ce point de vue à un mouvement de répétition, de reproduction et de transformation de formes littéraires “simples” sans pour autant constituer nécessairement une forme plus significative que celle des textes, c’est-à-dire des microfictions, qu’il inclut. La question de l’unité ou de la différence de la microfiction oscille de cette manière entre la série de textes et le texte qui en constitue un élément.
5De cette ouverture théorique, au-delà des limites imposées par l’idée de genre littéraire ou celle d’une unité, formelle ou autre, résulte, en Amérique latine, une perception double du microtexte selon une position dite “narrativista”[8] et une deuxième “transgenérica”, une dichotomie qui par ailleurs évolue partiellement en parallèle avec celle entre les termes de microficción et de microrrelato. Est-ce que le microrrelato comme “género protéico”[9], comme “género omnívoro”[10], caractérisé par une “hibridación genérica”[11] est nécessairement de nature narrative ?
6Une des conséquences de cette mise en perspective du microrrelato pourrait être l’introduction, dans l’analyse de la littérature française contemporaine, de la notion de microrécit qui compléterait celle de microfiction, notion qui non seulement accentuerait un parallélisme évident du développement de la littérature française contemporaine avec celui de la littérature dans d’autres pays, mais qui, en plus, rendrait justice au développement de la littérature française de la seconde moitié du XXe siècle, plus particulièrement du roman, qui voit des microformes littéraires se développer notamment à partir de et dans la réflexion théorique sur le roman ou la narration. Réflexion théorique elle-même de plus en plus fragmentaire comme celle, par exemple de Maurice Blanchot, qui préfère la notion de récit à celle de roman ou de narration, ou celle de Roland Barthes et d’autres, et qui finit par se confondre avec une pratique littéraire actuelle.
7Si au cours de la discussion sur le microrécit aussi bien sur un plan national qu’international, surgit quelque référence à des auteurs français, c’est le plus souvent de Roland Barthes et du groupe littéraire Oulipo[12] qu’il est question, raison pour laquelle j’aimerais leur consacrer les quelques réflexions qui suivent. Quel est, sur fond de ce que nous venons de développer, le rapport entre la narration, voire le roman, et la forme très brève tel que le conçoivent cet auteur ou ce groupe littéraire?
8Quand on suit le raisonnement de Roland Barthes sur la notion de brièveté, sur l’écriture courte, aussi bien sur un plan théorique que dans sa propre écriture, c’est une inversion de perspective qui attire tout d’abord l’attention. S’il parle de la forme littéraire courte, c’est plutôt de sa discontinuité, de l’interstice ou de l’interruption de son déroulement et de son enchaînement spatial et temporel qu’il est question. La perspective de Roland Barthes pourrait se résumer dans sa question quant à l’esthétique du fragment chez Schumann, centrale pour tout roman et a fortiori pour tout microrécit: “il appelait le fragment ‘intermezzo’ […]: tout ce qu'il produisait était finalement intercalé : mais entre quoi et quoi? Que veut dire une suite pure d'interruptions?”[13]. Ce type d’argumentation part d’une réflexion non pas sur la forme, mais sur l’absence de forme. Se plaçant en dehors de l’écriture et non pas dans une quelconque logique évolutive de celle-ci, Roland Barthes revient dans les années 70 aux sources de sa réflexion littéraire, celle de la recherche d’un degré zéro de l’écriture, qui justement avait pris son point de départ dans la recherche d’une forme littéraire et de la “morale de la forme”[14], recherche que continue en quelque sorte sa propre pratique microtextuelle à partir du milieu des années 70.
9Quand on essaye de retracer ce parcours à la recherche des figures de pensée qui lui servent à conceptualiser la relation entre des éléments textuels à première vue contingents, il est intéressant d’observer comment Roland Barthes oscille entre des approches extra- et intralittéraires. C’est ainsi qu’il confère, dans un premier temps, à l’écriture courte et fragmentée la tâche d’une critique de l’idéologie dominante et de ses formes d’articulation; l’attribution d’une dimension pragmatique au texte serait donc susceptible d’assurer l’unité sinon formelle du moins fonctionelle du ou des fragments textuels. C’est dans ce sens que dans Vingt mots-clés pour Roland Barthes (1975) il fait l’éloge de la "systématisation du goût de la forme courte” pour déconstruire la dissertation et le discours[15]. C’est dans le même sens que dans “La dernière des solitudes” il parle d’une esthétique de la brièveté, d’une “décentration du sens”[16] à laquelle correspondrait, au niveau de la lecture, le “goût de la lecture discontinue”[17].
10Face à la prétendue clôture idéologique du texte dogmatique, Barthes préconise l’idée de la potentialité du texte fragmentaire toujours prêt à prendre un nouveau départ, un nouveau sens. Mais cette ouverture pose en même temps problème quant à la conception d’un ensemble textuel, problème qui entre progressivement dans son horizon de réflexion, se traduit dans sa propre écriture et continue de l’occuper jusqu’à la fin de sa vie. En dehors de sa vision d’une fonction critique du texte fragmentaire, Roland Barthes a recours à d’autres logiques pour constituer un cadre conceptuel aux écritures très brèves.
11L’exemple qu’il choisit, depuis L’empire des signes (1970) jusqu’à son dernier cours sur le roman, pour critiquer le roman comme paradigme du texte moderne, est le haïku japonais. Cela place son argumentation qui est au fond littéraire, dans un cadre conceptuel plus large, englobant, celui d’une logique interculturelle, comme supplément et figure de légitimation d’un raisonnement littéraire entre micro et macro. Il construit une double dichotomie enchevêtrée – le poids d’une tradition littéraire et idéologique française apparemment obsolète d’un côté, le centre vide d’une culture japonaise de l’autre, et celle entre poésie et prose: “Aussi le haïku semble donner à l’Occident des droits que sa littérature lui refuse”[18]. Cette logique interculturelle comme une espèce d’apriori sert donc à compenser ce que tient de perturbateur l’idée d’une contingence d’une écriture fragmentaire et fragmentée. Il est en effet intéressant de voir que dans l’horizon de cette opposition interculturelle trouvent place et se voient légitimées toute une série de dichotomies littéraires autour desquelles Barthes organise sa vision sinon d’une évolution littéraire vers l’écriture brève, du moins une oscillation entre macro- et microforme: longueur/ brièvete, description/ apparition, langue/ langage, rhétorique/ notation (cf. pour cette dernière opposition La chambre claire), etc.
12Vient s’y ajouter – au fond à partir de L’empire des signes – une autre dichotomie entre le texte et ce qui lui est extérieur et qui pourtant a un effet rétroactif sur l’écriture, c’est celle entre le texte et d’autres médias, dont la photographie. Déjà dans L’empire des signes la photographie tenait le même rang que le fragment textuel dans l’organisation du texte, mais c’est notamment dans La chambre claire que nous voyons comment la réflexion sur la photographie éclipse celle sur le texte. La réflexion sur la notion de brièveté (l’instant photographique, le punctum, la redéfinition de l’aventure [romanesque] en un moment qui ad-vient, moment d’intensité affective, voire de présence) est en même temps une réflexion sur les contours du livre à venir, que Barthes pense à partir de la microfiction: “Ceci rapproche la Photographie (certaines photographies) du Haïku. Car la notation d'un haïku, elle aussi, est indéveloppable : tout est donné, sans provoquer l'envie ou même la possibilité d'une expansion rhétorique”[19]. Là où la production actuelle des auteurs de microfiction concerne plutôt l’interférence ou l’adaptation de la littérature au contexte médiatique caractérisé par une combinaison de médias et par un processus transformateur qui écarte toute dimension référentielle, la réflexion de Barthes sur la brièveté et le microrécit, quant à elle, porte sur le dualisme entre l’art et la référence, symbolisée par la photographie, même si au premier coup d’œil elle prend l’aspect d’une réflexion intermédiale.
13C’est en 1978, la même année de la publication de La vie mode d’emploi de Georges Perec, dont il sera question plus tard, que Roland Barthes entame un cours au Collège de France ayant pour sujet “[l]a préparation du roman” (1978-1980), cours qu’il double de nombreux travaux qu’on pourrait qualifier de microrécits, une chronique dans le Nouvel Observateur, série de textes brefs présentés comme “des bouts d’essais pour un roman”[20], un projet de roman qui l'occupera dès l’été 1979 et auquel il donne, par allusion à l’œuvre de Dante, le titre provisoire de Vita Nova, une série d’instantanés et de réflexions littéraires brèves écrite après la mort de sa mère en 1977 et publiée de manière posthume sous le titre Journal de deuil (Paris, Seuil, 2009), et les textes des Soirées de Paris. J'évoque de manière détaillée ces multiples projets d’écriture de Barthes parce qu’ils représentent quantitativement le point culminant de sa recherche sur le roman et qu’ils témoignent simultanément dans leur hétérogénéité comme dans leur caractère microtextuel, de la difficulté de cette recherche sur l’innovation de la forme romanesque qu’il entame en 1978 paradoxalement avec une réflexion sur Marcel Proust. Au moment d’écrire la Recherche cet auteur aurait, comme le critique à la recherche d’une réorientation de son écriture, hésité entre différents types d’écriture, la critique, l’essai et le roman[21]. La “tierce forme, ni Essai, ni Roman”[22], Barthes l’exemplifie dans son analyse de l’incipit de la Recherche : elle serait caractérisée par la suppression de la chronologie, de la causalité, elle ferait surgir des fragments narratifs et intellectuels au-delà de toute logique narrative traditionnelle et se caractériserait par une dimension métatextuelle[23]. Cette recherche d’une “Scienza Nova” ou encore “Vita Nova”[24] qu’exemplifie pour lui l’œuvre proustienne, Roland Barthes la pousse jusqu’au point où ce roman-là ne ressemble plus guère au roman – même pas dans sa version proustienne –, mais plutôt, et son écriture de plus en plus courte nous le démontre, à une série de microrécits, c’est du moins dans ce sens qu’on pourrait lire ses textes suivants depuis L’Empire des signes (1970), en passant par Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Fragments d’un discours amoureux (1977) et la série de textes évoqués ci-dessus. Le point de départ de cette recherche réside, nous l’avons vu, dans une figure dialectique qui voudrait inscrire la tierce forme dans la continuité de l’histoire littéraire, dont le roman. On verra quelles difficultés entraîne un point de vue pareil.
14Dans son cours, dont la conférence sur Proust constitue une espèce d'introduction, Barthes retrace la voie qu’emprunte le roman entre désintégration et réintégration potentielle à travers de nombreuses stations de l’histoire littéraire dont je n’aimerais relever que deux exemples: la tradition japonaise du Haïku dont il a déjà été question ainsi que la vision mallarméenne d’un livre absolu représentent les deux pôles de son argumentation. Le Haïku constitue pour Roland Barthes une espèce de microtexte: “Haïku = forme exemplaire de la Notation du Présent = acte minimal d’énonciation, forme ultra-brève, atome de phrase qui note (marque, cerne, glorifie: dote d’une fama) un élément ténu de la vie ‘réelle’, présente, concomitante” (PR 47). Le Haïku comme forme littéraire de l’éphémère est aux yeux de Barthes anti-allégorique, proche des discours du quotidien, sans contour ni signification (PR 127). Barthes voit le roman contemporain à une nouvelle croisée des chemins: “D’autre part, comment passer de la Notation, donc de la note, au Roman, du discontinu au flux (au nappé)?” (PR 46) ou plus précisément: comment pourrait-on s’imaginer le passage de la micro-technique de Notatio au roman, d’une “Notation fragmentée du présent (dont nous avons pris le haïku pour la forme exemplaire) à un projet romanesque?” (PR 137). Pour ce faire, Barthes introduit le concept de l’incident, en tant qu’ “événement immédiatement significatif” (PR 153), phénomène situé à la limite de ce qu’une forme littéraire en tant que système de représentation peut exprimer et dont l’authentification appartient plutôt au domaine de l’affectif. De son propre aveu, depuis Le plaisir de texte (1973) son écriture tend vers la catégorie de l'incident. Cette catégorie extra-textuelle, non plus dialectique, ne résout pas pour autant les problèmes d’organisation et de cohérence textuelle qui avaient amené Roland Barthes à construire une nouvelle dialectique historique de formes littéraires (la "tierce forme. La vision de Mallarmé d’un livre absolu fascine Barthes parce qu’elle constitue, elle aussi, une réponse à la question soulevée à l'exemple du haïku, celle du passage problématique de la notation fragmentée du présent à l’unité d’un roman, ou, dans le vocabulaire mallarméen, de l’album au livre : “Le Livre (Mallarmé: le Livre Total. Le Livre-Somme. Le Livre Pur); L’Album (Circonstance. Rhapsodique. Journal)”. L’attitude de Barthes face à cette opposition est ambivalente et nous le voyons, à mon sens, progressivement renoncer à transformer cette opposition en une dialectique de formes littéraires, ce qui avait été son intention au départ. Tantôt, faisant référence à Baudelaire et Edgar Allan Poe, il revalorise l’album comme la forme de la représentation du monde qualifié d’ “inessentiel” (PR 251), de “non-un, non hiérarchisé, éparpillé, pur tissu de contingences, sans transcendance” (PR 252). Tantôt il essaie de résoudre cette aporie par un modèle cyclique qui repose sur la notion de ruine: “À l’autre bout du temps, le Livre fait redevient Album: l’avenir du Livre, c’est l’Album, comme la ruine est l’avenir du monument […]” (PR 258) - image ambiguë, car la ruine (la citation, le fragment transmis) est, d’un point de vue esthétique, une image productive ou, comme dit Barthes, “germinative”[25]. Finalement, il reste sceptique et irrésolu face à ces deux options fondamentales du choix d’une forme littéraire, irrésolution que traduit sa notion d’incident située à la limite d’une forme littéraire signifiante.
15Mon deuxième exemple, le groupe littéraire Oulipo, qui, nous l’avons vu, est également un des points de référence dans le débat international sur le microrécit, nous permet, comme dans le cas de Roland Barthes, de réunir dans une même analyse de l’évolution de la littérature contemporaine la vision diachronique (le groupe a été fondé en 1960 et l’on pourrait citer les Exercices de style [1973] de Raymond Queneau comme l’un des premiers microrécits emblématiques du groupe) et synchronique. Pour les membres du groupe se pose, non moins que pour Roland Barthes, la question de la production de textes à partir de micro-éléments textuels, de leur combinatoire, de leur sérialité qui n’est pas sans rappeler la “constellation” de Roland Barthes; d’un côté comme de l’autre on trouve l’insistance sur la potentialité (des débuts contre l’idée d’une clôture du texte), la discontinuité. Pour Roland Barthes comme pour l’Oulipo, la théorie et la pratique de la littérature sont également importants. Un autre parallèle plus important pour notre propos me semble cependant l’oscillation générique qu’on trouve dans quelques travaux de l’Oulipo où interviennent simultanément roman et microrécit (ou ce que l’on pourrait interpréter comme tel). Un exemple en est La vie mode d’emploi (1978) de Georges Perec, que l’auteur conçoit comme un “romans” au pluriel. Ce texte essaie de raconter dans une série de textes ultracourts et selon un procédé combinatoire, la vie des habitants dans différents appartements d’un immeuble par la mobilisation de la mémoire, résumée dans la métaphore topographique de la maison, et d’un projet artistique, celui du peintre Valène qui voudrait fixer sur sa toile l'histoire de la maison et celle de ses habitants, projet dont Perec nous montre l’échec, puisqu’à la fin du livre, lorsque Valène meurt, la peinture s’avère vide. L’autre projet pour ainsi dire ‘avant-gardiste’ mis en scène dans le roman – le projet de Bartlebooth – connaît le même échec. En incorporant dans son roman la faillite de deux projets totalisateurs de la littérature moderne, étroitement liés à l’histoire du roman, Perec met en question l’unité même de son propre texte, de la multiplicité des narrations, romans et microrécits qui le constituent. Ce faisant il anticipe la problématique du microrécit – qui, selon la lecture que je propose ici, est celle du roman –, problématique qui porte entre autres sur l’unité formelle et sémantique d’une pluralité de textes, leur combinaison et contextualisation et les règles de leur reproduction. Il ira jusqu’à nous présenter la version la plus radicale d’un microrécit, la narration d’une ligne: je m’appuie ici sur l’une des annexes du livre, Rappel de quelques-unes des histoires racontées dans cet ouvrage, une liste de plus d’une centaine de titres d’histoires qui dans La Vie mode d’emploi ne sont souvent qu’évoquées, mais que le lecteur peut reconstituer à partir des 67 pages que comporte l’index.
16Chez deux autres représentants de l’Oulipo, l’on retrouve une oscillation générique semblable qui montre premièrement quelles conséquences peut avoir la pratique encore peu codifiée du microrécit sur la différenciation du système générique des textes narratifs et deuxièmement comment elle peut catalyser sa transformation. La présentation des travaux d’Hervé Le Tellier sur le site officiel de l’Oulipo et plus particulièrement les genres littéraires à l’aide desquels il organise ses publications, dispense de recourir aux principes théoriques de l’Oulipo, à savoir la combinatoire, pour expliquer une relation avec le microrécit. C’est lui-même qui établit ce rapport quand, parmi les différentes catégories littéraires – le roman, les nouvelles, l’essai, la poésie, l’œuvre graphique, etc. – qui regrouperaient ses travaux, les reconfigurant en quelque sorte, il fait également figurer la catégorie “BO & pico-publications”, rapprochant de la sorte l’Oulipo et le microrécit. Une catégorie semblable porte le titre “Fragments & texticules”. C’est de cette manière que des mots-clés de la discussion du microrécit apparaissent dans l’autoportrait poétologique d’un membre de l’Oulipo: la catégorie de la brièveté (les “pico-publications”), la notion de fragment ainsi que des termes génériques spécifiques comme “texticules”. De plus, Le Tellier rend perméables les limites entre roman et microrécit en incluant des textes à peu près identiques simultanément dans les deux catégories. Ainsi La chapelle sextine (2005), une combinatoire sexuelle d’un certain nombre de personnages, apparaît sous le label roman, tandis que des textes comparables comme Cités de mémoire (2003) – un hommage au Città invisibili de Calvino – ou Sonates de bar (1991) figurent sous le concept de nouvelle, et sous la catégorie “Fragments & texticules” on trouve un texte strictement de la même facture: Les Amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable, ou Mille réponses à la question “À quoi tu penses?” (1998), une variante des Je me souviens de Georges Perec[26].
17Michelle Grangaud, pour citer encore un troisième auteur de l’Oulipo, opère, elle aussi, avec des dénominations qui rivalisent avec le roman: je ne mentionne que deux de ses travaux que l’on pourrait qualifier de micro-textes, Geste. Narrations (1991) et Jours le jour. Chronique (1994). Le premier texte met en scène la singularité du geste, multiple mais non pas réductible dans une trame ou une histoire. Caractérisé par des bribes textuelles de trois lignes, dont les deux premières sont constituées d’éléments de phrase d’un à cinq mots et la dernière, plus longue, d’environ 9 mots, un rythme textuel se met en place qui ne s’apparente ni à la poésie ni au poème en prose mais à une approximation de la narration toujours renouvelée et toujours déçue.
18Dans Jours le jour, un texte qui fait alterner des morceaux textuels d’une demi-page portant pour titres des indications topographiques (Entrée, passage du Ponceau; rue des Solitaires; galerie du Caire; Cité Bergère, etc.), ce rythme naît du choix de certains titres désignant des connexions à la fois topographiques et métatextuelles (Passage, Trajets, Ensemble, Vue cavalière etc.). Deux livres plus récents sont d’une facture nettement plus radicale: Calendrier des poètes (2001) et Calendrier des fêtes nationales (2003), composés de textes extrêmement courts, parfois de moins d’une ligne, forment un calendrier dont le caractère monumental potentialise aussi bien la fonction mémorielle que la fonction narrative du texte, c’est-à-dire des microtextes qui le constituent.
19Et l’on pourrait se demander si la dimension microfictionnelle, la tension entre microrécit et roman ne se radicalise pas, dans le cas de l’Oulipo, si l’on considérait la simple contrainte, c’est-à-dire la règle de production textuelle selon l’Oulipo, comme une espèce de microrécit (cf. par exemple le texte de Raymond Queneau Un conte à votre façon de l’année 1967, ou les nombreuses contraintes que l’on trouve sur le site de l’Oulipo [oulipo.net]). Et n’est-ce pas également une espèce d’allégorie du microrécit, que la publication de textes oulipiens qui mettent en scène, pour ainsi dire, le fait de renoncer à la littérature ? Je pense ici aux textes de Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres (Paris, Hachette, 1986), Jette ce livre avant qu’il ne soit trop tard (Paris, Seghers, 1992).
Check-list
20Nous avons vu que le microtexte fait souvent partie d’une constellation intermédiale[27]; c’était déjà le cas dans certains des textes de Roland Barthes. L’exemple des papiers de verre de Hervé Le Tellier nous parle peut-être le mieux de cette stratégie textuelle et nous permet peut-être aussi de noter, à la fin de notre réflexion, des différences entre l’écriture microtextuelle de Roland Barthes et la pratique contemporaine du microrécit. Il s’agit, dans le cas des papiers de verre d’Hervé Le Tellier, de textes extrêmement courts, pas plus de 25 mots, des textes d’un statut générique hybride oscillant entre l’aphorisme, la sentence, la chronique, le journal, voire la miniature autobiographique. Déjà le média de publication, la “Lettre check-list” du journal Le Monde, envoyé par courrier électronique et qui s’apparente donc à la correspondance tout en imitant une page de journal, permet de mesurer la complexité intermédiale de cette production de microtextes. S’y ajoute bien sûr également le ‘genre’ d’une check-list, d’une liste de contrôle des choses à faire, dont le caractère performatif constitue un commentaire ludique sur la relation entre texte et réalité.
21La notion même de papier de verre est une dénomination générique lourde de connotations qui intègre certaines des qualités textuelles des genres mentionnés ci-dessus et cristallise plusieurs de leurs caractéristiques, à savoir le caractère frictionnel, ni fiction ni diction, du texte qui détermine sa relation à la réalité[28]. Hervé Le Tellier attribue à ces textes un statut littéraire en dehors du journal en les publiant plus tard dans des volumes séparés[29]. Cette imbrication de multiples canaux médiatiques, auxquels il aurait fallu ajouter la structure hypertextuelle de la check-list du Monde qui dépasse sa limite médiatique, augmente considérablement le potentiel du microrécit. Ce dynamisme est renforcé par la pragmatique complexe résultant de cette superposition de canaux médiatiques et de différentes instances narratives (le narrateur des papiers de verre, Hervé le Tellier comme leur auteur, la rédaction qui envoie les courriers électroniques, celle qui compose les informations journalistiques), ainsi que de la représentation de genres textuels multiples.
22Ce n’est pas le lieu ici d’expliciter les différentes caractéristiques textuelles des papiers de verre qui me semblent pourtant paradigmatiques pour bon nombre de microtextes: la paradoxie, l’opposition, l’analogie, le jeu de mots, le pastiche, l’allusion intertextuelle, intermédiale et d’autres encore. Mais ce qui est sûr et cela me semble constituer l’un des éléments caractéristiques du microrécit, c’est qu’elle thématise intrinsèquement, à travers les figures que je viens de mentionner, non seulement le problème de sa signification, mais aussi celui de son organisation textuelle, de sa connectivité, traduit ici par de nombreuses figures logiques et stylistiques, le plus souvent elliptiques et qui demandent à être complétées.
23À la sérialité du papier de verre, liée au rythme de publication du journal comme principe constitutif et autopoétique du texte, s’ajoute dans ce sens une autre contrainte, celle de la contiguïté de la présentation des papiers de verre sur la page du journal, impliquant la question de son rapport intratextuel à la check-list et aux informations qu’elle renferme ainsi qu’aux dessins qu’elle contient. Parmi les multiples interprétations que l’on pourrait donner à cette dialectique qui inclut par ailleurs celle du roman, lui-même écho intertextuel dans le microrécit des papiers de verre, il en est une qui me semble primordiale, à savoir celle de la dynamique transformative qui émane du microrécit par rapport aux événements culturels, politiques et économiques quotidiens, c’est-à-dire par rapport à la représentation médiatique de la réalité, et qui place celle-ci sous le signe d’une relativisation esthétique, point de départ d’une littérature, d’un roman potentiel.
Andreas Gelz
Albert-Ludwigs-Universität Freiburg

Notes


[1] Cf. Francisca Noguerol, “Microrrelato y Postmodernidad: textos nuevos para un final de milenio”, dans Revista interamericana de bibliografía, 1996, n°46/1-4, p. 49-66; idem, “Inversión de los mitos en el microrrelato hispánoamericano contemporáneo”, dans Las formas del mito en las literaturas hispánicas del siglo XX, Ed. de Luis Gómez Canseco, Huelva, Universidad, 1994, p. 203-218; et Lauro Zavala, Cartografías del cuento y la minificción, Sevilla, Editorial Renacimiento, 2004, p. 6. Ce n’est pas un hasard si en Amérique latine la réecriture de mythes européens est l’un des thèmes majeurs du microrrelato. Une autre forme de réécritures d’intertextes sont les nombreux bestiarios, fábulas etc. Cf. Julio Cortázar, Bestiario (Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1994 [1951]), Augusto Monterroso: La oveja negra y demás fábulas (Madrid, Punto de Lectura, 2007 [1969]), Juan José Arreola, Confabulario (México, Fondo de Cultura Económica, 1952), Bestiario (México, Joaquín Mortiz, 1985 [1972]) etc.

[2]Simone Carpentari-Messina, “Avant-Propos”, dans La forme brève : actes du colloque franco-polonais, Lyon, 19-21 septembre 1994, Paris, H. Champion, p. 7. Cf. également Susanne Möhner, ‘La forme brève’ in der zeitgenössischen französischen Literatur, Thèse M.A., Freiburg, 2009.

[3]Cette vision des choses rompt également avec l’idée d’une esthétique de la transgression à laquelle semble cependant l’assimiler Simone Carpentari-Messina qui préconise une analyse non plus de genres littéraires mais de modes littéraires comme la mise à distance, la discontinuité et la rupture.

[4]Pour donner une idée du succès de la microfiction en Amérique latine il suffit de rappeler quelques chiffres: j’ai pu répertorier, pour le domaine hispanophone, plus de 100 anthologies de microrrelatos, il y a des sites Internet, des concours publics, des revues spécialisées, des théories du microrrelato, et en 2008 a déjà eu lieu le cinquième “Congreso Internacional de Minificción”.

[5]Cf. Lauro Zavala, La minificción bajo el microscopio, Bogotá, Universidad Pedagógica Nacional, 2005; Laura Pollastri, “Desordenar la biblioteca: Microrrelato y ciclo cuentístico”, dans El ojo en el caleidoscopio: Las colecciones de textos integrados en la literatura latinoamericana, Mexico City, Eds. Pablo Brescia y Evelia Romano, 2006, p. 79-113; David Roas, “El microrrelato y la teoría de los géneros”, dans La era de la brevedad. El microrrelato hispánico, Irene Andres-Suárez y Antonio Rivas eds, Palencia, Menoscuarto Ediciones, 2006, p. 47-76; Lafon, Michel, “Pour une poétique de la forme brève”, dansFormes brèves de l’expression culturelle en Amérique Latine de 1850 à nos jours, vol. I, Paris, Presses de La Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 13-18; ou, pour le domaine francophone, Irène Langlet éd., Le recueil littéraire. Pratiques et théorie d’une forme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003.

[6]Cf. entre autres Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975; Hervé Bazin, Abécédaire, Paris, Grasset, 1984 ; Grasset, 1984 ; Jacques Drillon, Le livre des regrets, Arles, Actes Sud, 1997; Gérard Genette, Bardadrac, Paris, Seuil, 2006, et Codicille, Paris, Seuil, 2009; Gilbert Lascault, Encyclopédie abrégée de l'Empire Vert, Paris, Lettres Nouvelles, 1983 ; Georges Perec, Je me souviens, Paris, Hachette, 1978. Pour une esthétique de l’énumération cf. Sabine Mainberger, Die Kunst des Aufzählens: Elemente zu einer Poetik des Enumerativen, Berlin, New York, de Gruyter, 2003.

[7]“La minificción es indudablemente la manifestación literaria más característica del siglo XXI y permite entender la transición entre una creación fragmentaria (moderna), propia de la escritura sobre papel, y una escritura fractal (posmoderna), propia de la pantalla electrónica. […] Tal vez la estética del fragmento autónomo y recombinable a voluntad es la cifra estética del presente, en oposición a la estética moderna del detalle. La fractalidad ocupa el lugar de fragmento y del detalle ahí donde el concepto mismo de totalidad es cada vez más inabarcable (O. Calabrese)” (Lauro Zavala, La minificción bajo el microscopio, op. cit., p. 11, 68). Cf. également Yvette Sánchez, “Nanophilologie - fraktale Miniaturisierung”, dans Ottmar Ette éd., Nanophilologie. Literarische Kurz- und Kürzestformen in der Romania, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2008, p. 9-19; idem, “Nanofilología. Miniaturización fractal”, dans Iberoamericana, Madrid: Iberoamericana/Vervuert, 36, 2009, p. 143-152.

[8]Cf. David Lagmanovich, El microrrelato. Teoría y historia, Palencia, Monoscuarto Ediciones, 2006, p. 30-31. Pour Lagmanovich le microrrelato n’est rien de plus qu’un élément d’une continuité de formes narratives: “El microrrelato forma parte de un continuum que abarcaría -de mayor a menor- el ciclo novelístico, la novela, la nouvelle (novela corta), el cuento y el microrrelato mismo. Tal es la escala báscia de la narratividad”. Cf. également: “En conclusión, el cuento y el microrrelato también comparten las mismas características esenciales: narratividad y brevedad, aunque ésta está acentuada al máximo en el microrrelato. En ambos, todo depende de la intensidad narrativa, de la imprescindible tensión que debe estar en la sustancia misma del relato” (>David Roas éd., Poéticas del microrrelato, Madrid, Arco/ Libros, 2010);et David Lagmanovich, “El microrrelato hispánico: algunas reiteraciones” dans Iberoamericana, 2009, n° 36, p. 85-96. Pour la thèse d’un microrrelato “transgenérico” ou “des-generado” cf. Violeta Rojo, “El minicuento, ese (des)generado”, Revista Interamericana de Bibliografía/Inter-American Review of Bibliography 46, nr. 1, 1996, p. 39-47.

[9]David Lagmanovich, op. cit., p. 122.

[10]Ibid., p. 95. Rappelons que ces caractéristiques avaient été celles du roman tel que le concevait Friedrich Schlegel lorsqu’il le décrit comme une “progressive Universalpoesie”: “Die romantische Poesie ist eine progressive Universalpoesie. Ihre Bestimmung ist nicht bloß, alle getrennte Gattungen der Poesie wieder zu vereinigen, und die Poesie mit der Philosophie und Rhetorik in Berührung zu setzen. Sie will, und soll auch Poesie und Prosa, Genialität und Kritik, Kunstpoesie und Naturpoesie bald mischen, bald verschmelzen, die Poesie lebendig und gesellig, und das Leben und die Gesellschaft poetisch machen […]. Nur sie kann gleich dem Epos ein Spiegel der ganzen umgebenden Welt, ein Bild des Zeitalters werden. Und doch kann auch sie am meisten zwischen dem Dargestellten und dem Darstellenden […] auf den Flügeln der poetischen Reflexion in der Mitte schweben, diese Reflexion immer wieder potenzieren und wie in einer endlosen Reihe von Spiegeln vervielfachen” (Friedrich Schlegel, “Athenäumsfragmente” [1798], dans Kritische und theoretische Schriften, Andreas Huyssen éd., Stuttgart, Reclam, 1978, p. 90.

[11]Lauro Zavala, La minificción bajo el microscopio, op. cit., p. 52.

[12]Lorsque l’on recherche dans la discussion sur le microrrelato hispanophone des références à la littérature française, elles se rapportent presque toujours à l’Oulipo et plus particulièrement à son membre italien Italo Calvino et à sa poétique Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio (1988) où il fait de la brièveté l’une des enseignes de la littérature du XXIe siècle. Cependant c’est un exemple latino-américain que choisit Calvino pour illustrer sa vision de l'avenir de la littérature; il s’agit du microrrelato le plus célèbre: El dinosaurio, d’Augusto Monterroso: “[…] je me bornerai à vous dire que je rêve d’immenses cosmologies, de sagas et d’épopées encloses dans les limites d’une épigramme. En un temps de plus en plus congestionné, comme celui qui nous attend, le besoin de littérature devra miser sur une concentration maximale de la poésie. J’aimerais [...| rassembler une collection de récits tenant en une seule phrase, voire en une seule ligne si possible. Mais je n’en ai trouvé aucun, à ce jour, qui surpasse celui de l’écrivain guatémaltèque Augusto Monterroso: ‘Cuando despertó, el dinosaurio todavía estaba allí’ ” (Calvino, Italo, Leçons américaines. Aide-mémoire pour le prochain millénaire, Paris, Gallimard, 1989 [1988], p. 88). Cf. également Lauro Zavala, La minificción bajo el microscopio, op. cit., p. 47; Raúl Brasca, “Prologo”, dans Dos veces bueno. Cuentos brevísimos latinoamericanos. Buenos Aires, Desde la Gente, 1996, p. 48; Edmundo Valadés, “Ronda por el cuento brevísimo”, dans Paquete: Cuento. La ficción en México, Ed. de Alfredo Pavón, México, Univ. Autónoma de Tlaxcala, 1990, p. 196; Andreas Gelz, “Microfiction et Romanesque dans la littérature française contemporaine”, dans Wolfgang Asholt, Marc Dambre éds, Un retour des normes romanesques? Le roman français contemporain / Eine Rückkehr romanesker Normen? Der französische Gegenwartsroman. Paris, Presses Sorbonne Nouvelle (sous presse).

[13]Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, p. 98.

[14]Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953, p. 15.

[15]Éric Marty éd., Roland Barthes. Œuvres complètes, Paris, Seuil, 2002 [1975], vol. IV, p. 851 sv.

[16]Ibid., vol. V, p. 419.

[17]Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil 1973.

[18]Roland Barthes, L’empire des signes, Genève, Albert Skira, 1993 [1970], p. 92.

[19]Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980, p. 81.

[20]Roland Barthes, La préparation du roman I et II : notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, texte établi, annoté et présenté par Nathalie Léger, Paris, Seuil/ Imec, 2003, p.17; dorénavant PR.

[21]Roland Barthes, “Longtemps, je me suis couché de bonheur”, dans Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 334.

[22]Ibid., p. 336.

[23]Ibid., p. 337.

[24]Ibid., p. 346, 342.

[25]Par ailleurs, nous voyons ici à quel point l’interprétation de Roland Barthes de l’image de la ruine comme métaphore poétologique diffère de celle qu’en donne Alain Robbe-Grillet. Présente chez ce dernier dès 1989, ce n’est qu’en 1994 dans Les derniers jours de Corinthe (1994) qu’elle occupe une place centrale dans son projet des Romanesques : “Nous écrivons désormais, joyeux, sur des ruines. Car il ne pourra plus jamais s'agir d'accepter le sommeil du Grand Architecte vaincu, qui se résigne à ne rien offrir au-delà des fragments épars, […] non plus que de revenir repentants à quelque ensemble rationnel et stable, encore moins de geindre sur ses faillites, mais bien de tisser […] des structures foisonnantes qui à mesure se dérobent” (Alain Robbe-Grillet, Les Derniers Jours de Corinthe, Paris, Minuit, 1994, p. 17).

[26]Citons, à titre d’exemple supplémentaire le cas de Régis Jauffret, qui, en 2007, a reçu deux prix littéraires (Prix de l’humour noir Xavier Forneret 2007; Prix France Culture-Télérama 2007) pour son roman Microfictions. Sa manière paradoxale de qualifier une série de ‘microfictions’ de roman et de choisir pour titre à ce ‘roman’ le nom d’un autre genre littéraire démontre une volonté de redéfinir ce qu’est un roman, voire d’y substituer un genre littéraire nouveau. Parler du microrécit dans la littérature française revient donc entre autres à tenter d’établir une généalogie des possibles origines de cette production littéraire actuelle. Et c’est donc encore du roman, fût-ce d’une manière indirecte, qu’il s’agira de parler.

[27]On pourrait se demander si ce recours à d’autres médias – la télévision, le cinéma, les journaux et le dessin - n’est pas aussi un effet de la miniaturisation du texte littéraire, qui permettrait une codification, une articulation et une représentation de l’écriture dans d’autres médias, voire même la genèse d'une constellation de différents médias. C'est peut-être le caractère sémantique nécessairement lacunaire du microtexte même qui provoque cette combinaison de différents médias faisant appel à un complément sémantique et/ou médiatique pour compléter l'énoncé du très bref texte littéraire. Mais peut-être aussi le microrécit, en établissant ce rapport avec d’autres médias, satisfait-il de cette manière à toute exigence d’unité sémantique, de signification ou de légitimité sociale en subvertissant simultanément les médias audiovisuels et électroniques qui l'incluent.

[28]Pour ces catégories, voir Gérard Genette, Fiction et diction (Poétique), Paris, Seuil, 1991, 11-41 ; Ottmar Ette, Roland Barthes. Eine intellektuelle Biographie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998, p. 308-312: “Friktionale Texte sind hybride Texte, die zwischen den Polen von Fiktion und Diktion ständig hin und her springen. Friktion ist eine vom Text selbst inszenierte (und den Text selbst inszenierende) Hybridität” (p. 312). Cf. Andreas Gelz, “Pico-publications, fragments & texticules. Kürzesttexte in Frankreich am Beispiel der 'papiers de verre' von Hervé Le Tellier”, in: Ottmar Ette éd., Nanophilologie. Literarische Kurz- und Kürzestformen in der Romania. Tübingen, Niemeyer 2008, p. 141-150.

[29]Cf. le volume coédité avec le dessinateur Xavier Gorce, Guerre et plaies (2003), ainsi que Les opossums célèbres, (2006).






2012 | Revue critique de fixxion française contemporaine |  (ISSN 2033-7019)  |  Habillage: Ivan Arickx |  Graphisme: Jeanne Monpeurt
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